Notre Grande Histoire [source amicale]
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Notre Grande Histoire [source amicale]
Située sur la côte algérienne, à une vingtaine de kilomètres de la frontière tunisienne, La Calle occupe l’emplacement de l’ancienne cité romaine Tuniza (du Berbère « Tounès » signifiant bivouac), (ou Tuniha), figurant sur les cartes de l’Empire romain dressées au 3ème siècle. Ce nom peut laisser supposer que Tuniza était déjà une halte, une pause autour d’un point d’eau, sur la voie reliant la Tunisie du Nord à la Numidie. Saint Félix y aurait été martyrisé à cette époque. Le Père Van, religieux espagnol en voyage en cette place en 1633, indique que la quantité importante de ruines subsistantes proviendrait de l’ancienne Utique, selon les dires des Maures vivant en ces lieux.
Vers le 10ème siècle, ce petit port s’appelle Mers-El-Kharez (signifiant le port aux breloques ou Massacarès en transcription européenne). Ce nom imagé, s’explique par le fait que les fonds marins recélaient des coraux, très recherchés à l’époque, qui étaient transformés en bijoux de toutes sortes. Dès le 9ème siècle, dit l’historien ami qui vient du maghreb avec sa famille El-Bekri, Mers-El-Kharez servait à la construction des navires que les Khalifes de Kaïrouan destinaient aux ravages des côtes de l’Empire byzantin. Vers 1150, Al-Idrîsî, savant et prince musulman, rédige à la demande du roi chrétien Roger II de Sicile, une géographie du monde connu. La Calle y est décrite ainsi : « Au Nord, vis-à-vis, et à une forte journée de Béja, au bord de mer, est située Marsâ-El-Kharaz. C’est une petite ville entourée d’une forte enceinte et munie d’une citadelle. Les environs sont peuplés de nomades arabes. La prospérité des habitants repose sur la pêche au corail qui s’y trouve en grande quantité, et qui est supérieur en qualité à celui du reste du monde… Le banc y est exploité tous les ans. On y emploie en tout temps cinquante barques plus ou moins… ».
En 1534, en raison du traité de paix conclu avec Charles-Quint, Moulay Hassan, sultan de Tunis, offre aux Chrétiens le monopole de la pêche du corail. De Tabarka à Bône, toute la côte est mise sous contrôle chrétien, en échange d’une redevance de 5%, sur le trafic commercial, versé au Trésor Public Tunisien. Mais l’acte signé est difficile à exécuter car les tribus algériennes sont réfractaires aux ordres de Tunis, d’autant que la présence étrangère (espagnole et italienne surtout) est perçue comme une occupation militaire.
En 1540, La Sublime Porte, du temps de Soliman 1er, confirme ce privilège à son allié François 1er, moyennant une redevance très importante. A la suite de ce contrat, des campagnes de pêche sont organisées avec des bateaux à rames et à voiles latines, de modestes dimensions, armées par des équipages du Cap Corse, et souvent la proie des navires barbaresques.
En 1553, la famille Linci (ou Lincio), armateurs entreprenants, originaire de Morsiglia dans le Cap Corse, va normaliser ces campagnes. Thomaso Linci, dit Thomas Lenches, né aussi à Morsiglia mais établi à Marseille, avec l’aide du Marseillais Carlin Didier, va être l’artisan d’un traité entre le roi de France Henri II et le Dey d’Alger, par lequel il obtient la concession de la pêche du corail sur le site de La Calle du Massacarès.
En 1560, ce traité étant confirmé par le roi Charles IX et le Sultan Soliman III, Thomas Lenches commence par édifier un établissement non fortifié, dans une baie à 10 km à l’Ouest de Massacarès : c’est le Bastion de France. Tout d’abord constitué d’un bâtiment servant d’abri et d’entrepôt, il va s’étendre et s’enrichir d’une église (Ste Catherine), d’un fortin, d’une tour et d’autres entrepôts. Dans le même temps, le havre de Massacarès est aussi occupé par la Compagnie française afin que ses navires puissent y trouver un abri. A cette époque, il ne reste dans cette ancienne ville, qu’un douar de Maures habitant sous la tente, et une mosquée où les Indigènes viennent faire leurs prières. Et comme cet oratoire passait pour être l’un des plus anciens de la côte du Maghreb, on y enterrait des Maures amenés d’une distance de 40 lieues.
Cet établissement français, ainsi composé du Bastion de France et de Massacarès, concentre autour de lui toute la communauté européenne qui, avec le temps, s’étale sur toute la côte jusqu’à Bône. L’opulence de la région se manifeste très vite grâce au corail et aux redevances payées d’avance par les Chrétiens.
En 1568, les rivalités et les craintes ressenties par les Arabes qui voyaient d’un mauvais œil l’installation de la Compagnie Lenches, conduisirent à la destruction du Bastion de France. Ce dernier fut pourtant reconstruit l’année suivante, grâce à la ténacité de la famille Lenci.
En 1582, cette famille obtient le monopole de la concession, grâce au contrat signé entre le Dey d’Alger et le neveu de Thomaso Lenci, le comte de Moissac. Dès lors, le Bastion de France va jouer un rôle prépondérant et la famille Lenci étend son privilège à la côte tunisienne. La Compagnie du Corail regroupe alors de 200 à 300 pêcheurs, tous originaires du Cap Corse. Cette compagnie monopolise le commerce français avec la Barbarie et se livre au commerce des épices avec l’Orient. Elle se range parmi les plus importantes entreprises commerciales françaises. Outre le corail, le Bastion fournit aussi de la laine, du blé, du cuir, de la cire, du raisin sec, des figues etc. Sa renommée est telle que le Bastion de France attire toutes sortes de nationalités : Anglais, Français, Espagnols, Hollandais, Antillais, Livournais, Pisans, Génois, Mahonnais et Juifs.
Les successeurs de Thomas Lenches furent : Antoine Lencio (1568-1582), Visconte Lencio (1582-1592), Jean Porrata (1592-1597), Thomas Lencio Sieur de Moissac (1597-1608)
En 1604, les relations avec Alger se détériorent. Le Dey, qui voit d’un mauvais œil l’extension et la consolidation des comptoirs français, fait raser de fond en comble l’ensemble des installations portuaires et des locaux commerciaux par l’amiral Mourad Raïs, et réduit le personnel du Bastion de France en esclavage. Il fallut toute l’habileté du roi Henri IV pour rétablir la famille Lenci dans ses droits. Le Bastion est reconstruit avec grande difficulté.
En 1617, une nouvelle destruction du Bastion intervient à la suite d’une expédition d’intimidation organisée par la flotte française devant Alger.
En ce début du 17ème siècle, la piraterie barbaresque sévit partout en Méditerranée, au point que le roi de France Louis XIII décide d’intervenir. Il charge un Chevalier de l’Ordre de Saint-Michel, Sanson Napolloni (dit Sanson Napollon, ou le Sieur Sainson des Linci et, de plus, ayant été consul à Alep, il maîtrise parfaitement la langue turque.), d’origine corse mais habitant Marseille, de négocier une paix avec les Turcs. Ce nouvel ambassadeur est apparenté et héritier de la famille.
En 1628, après 2 ans de négociations laborieuses mais très habiles, un nouveau traité est conclu entre la France et le Sultan, par lequel le Bastion est rendu à la France, et les 2 000 esclaves libérés. Cette paix perpétuelle permet au Bastion de France d’être érigé en Gouvernement, et à Sanson Napollon d’être nommé Gouverneur avec l’accréditation de Richelieu. Le Bastion est alors reconstruit et fortifié, et les corailleurs se réinstallent avec une majorité de personnel originaire du Cap Corse. Le commerce prend soudain un essor fulgurant et se diversifie. A son apogée, on ne comptait pas moins de 400 bateaux corailleurs (coralines). Rien n’est entrepris sans en référer à Richelieu et Louis XIII. Mais ce succès suscite des jalousies de la part des Anglais, et surtout des Génois qui créent d’importants préjudices au commerce des Français, à tel point que Sanson Napollon se déclare en « état de belligérance » avec la république de Gènes. Il assiège à deux reprises le fort de Tabarka tenu par une famille génoise depuis 1543, les Lomellini. A la troisième tentative, le 16 mai 1633, par suite d’une trahison, la garnison du fort écrase l’assaut donné par les Français. Sanson Napollon est abattu et sa tête clouée sur le portail de la forteresse génoise.
C’est donc sous l’impulsion de Sanson Napollon que le Bastion de France a connu une telle prospérité et on peut dire qu’il en a été le véritable créateur.
Toujours chargés de jalousies, les Génois fomentent une révolte des Arabes contre le Bastion de France qui est détruit, le 13 décembre 1637, par la flotte barbaresque commandée par le corsaire Ali Bitchimi (ex-Italien nommé Bienini).
Par la suite, le Bastion connaît, avec alternance, des périodes heureuses d’activité succédant à des destructions. Son destin sera le reflet des relations de la France avec la Régence d’Alger. Aux périodes de paix et d’entente correspond une ère de prospérité et de quiétude pour le comptoir. Les relations viennent-elles à s’envenimer, aussitôt le Bastion connaît le pillage et l’abandon.
Les successeurs de Sanson Napollon furent : Sanson Lepage (1633-1637), Coquel (1640-1643), Piquet (1643-1658), J. Arnaud (1666-1674), de La Font (1674-1678), Dussaut (1678-1687) et Pierre Hély (1691-1706).
En 1679, c’est donc Dussaut qui décide d’abandonner l’emplacement initial pour cause d’insalubrité. En effet, la proximité des nombreux lacs, foyers de miasmes et de malaria, nuisait aux corailleurs que les fièvres décimaient à 90% ! Le Bastion de France s’installe sur l’Îlot de France, face à Massacarès situé à environ 10 km à l’Est de l’ancien bastion. Cette petite ville naissante est fortifiée, pourvue de quais, de magasins, d’un lazaret, d’un hôpital, d’une église - la première construite en Afrique du Nord -, de postes militaires, enfin de tout ce qui était indispensable à la vie et à la défense de ses 2 000 habitants. Cet embryon de ville donnera naissance au site actuel de La Calle (ou La Cale). Le nom de La Cale figure d’ailleurs au côté du Bastion de France sur les cartes du début du 17ème siècle. Ce nom lui avait été attribué en raison des facilités pour « caler » les bateaux qui venaient, depuis bien longtemps, se réfugier dans les deux anses, selon la direction du vent. Toutes les maisons de la Presqu’île, ainsi que l’église, datent ainsi de la fin du 17ème siècle.
A la fin de ce 17ème siècle, suite à des malversations d’un certain Picquart, responsable de la Compagnie Lyonnaise – seul exploitant de la pêche du corail - la concession est accordée aux Anglais pendant une dizaine d’années.
Durant tout le 18ème siècle, on assiste à des tribulations commerciales, tantôt favorables, tantôt néfastes, avec de nombreux changements de concessionnaires. Ainsi, du milieu du 17ème à la fin du 18ème siècle, se sont succédées : la Compagnie Lyonnaise, la Compagnie Dussaut, la Compagnie Hély, la Compagnie d’Occident, la Compagnie des Indes, la Compagnie Royale d’Afrique.
En 1798, en représailles de la campagne d’Égypte engagée par Napoléon, La Calle est de nouveau détruite et pillée. La concession est de nouveau remise aux Anglais durant dix années, puis restituée aux Français le 17 mars 1817.
En 1827, en relation directe avec les faits relatifs à l’affaire du blé algérien acheté par la France, et en riposte au blocus des côtes algériennes qui s’est ensuivi, La Calle et l’Ilot de France sont une dernière fois incendiés par les Turcs. Ces événements conduiront, trois ans plus tard, à la conquête de l’Algérie.
Ainsi, en l’espace de trois siècles, une suite ininterrompue de destructions se sont succédé :
…1286, …, 1551, 1568, 1586, 1604, 1617, 1637, 1658, 1683, 1744, 1798, 1807, 1827.
Le 14 juillet 1836, à la tête de quarante cavaliers, Berthier de Sauvigny entre à La Calle, où les autochtones l’accueillent chaleureusement. Les immeubles sont restaurés, et bientôt des corailleurs reviennent, de Corse, de Sicile et de Naples. En même temps, des colons européens s’installent dans les environs, et la population ne cesse de grandir : vers 1900, la ville compte environ 6 000 habitants. La plupart des italiens se font naturaliser Français.
A partir de 1850, la cité va s’étendre progressivement sur la terre ferme, en face de l’Îlot et, le 22 novembre 1887, le projet de construction du port est approuvé, après 10 années de tergiversations et tentatives malheureuses.
Le Bastion de France a été classé monument historique le 9 septembre 1930.
Christian Costa
Extrait du Mémoire Vive n°49
Plans comparés de la Calle de 1838 et 1910
LA CALLE - BIBLIOGRAPHIE SUCCINTE
* La Calle et le Bastion de France – Si La Calle m’était contée – Livre édité par l’Amicale des Callois, Éditions Jacques Gandini, 7, rue de Roquebillière Nice – 2008, 192 p
* Costes de Barbarie contenant les royaumes d’Alger et de Tunis, Jacques Nicolas BELLIN (1703-1772)
Histoire des villes de la province de Constantine – La Calle – par Charles FÉRAUD, typ. De l’Association ouvrière V. AILLAUD et Cie, Alger, 1877, 639 p.
* LA CALLE, livret édité par le syndicat d’initiative de La Calle, 1951.
* L’Algérie et les colonies françaises, Cartes du Roiaume d’Alger, Pierre DUVAL, géographe du Roy, chez l’auteur à Paris, près le Palais, sur le quai de l’Orloge, 1664.
* Traités de la France avec les Pays de l’Afrique de Nord : Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc, par Edgar ROUARD de CARD. Repro. De l’éd. De Paris : A. Pédone, 1906, 422 p.
* Description de l’Afrique septentrionale, par EL-BEKRI, traduite par Mac GUCKIN de SLANE, Alger, Typographie Adolphe Jourdan, place du Gouvernement, 1913, 368 p.
* Bastion de France, Revue trimestrielle éditée par l’Association pour l’édification du Monument Sanson Napollon, 1929 – 1931.
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